Il aura fallu moins de deux jours aux sénateurs pour se prononcer sur le projet de loi Création et Internet du gouvernement. Avec plus de quatre-vingt amendements adoptés, le texte a évidemment subi de nombreuses modifications entre leurs mains. Mais rien qui en bouleverse réellement la teneur : malgré les plans B de dernière minute, c'est bien une coupure de connexion Internet qui pendra au nez des pirates invétérés.
Le projet de loi modifié doit maintenant être examiné par les députés de l'Assemblée ( a priori début 2009), avant de trouver sa forme finale. Mais, à mi-parcours, voici à quoi ressemblerait le dispositif antipiratage, s'il était mis en place aujourd'hui sur la base de la version du Sénat ?
L'Hadopi aux commandes
Les sénateurs ont validé la création d'une Haute autorité administrative, l'Hadopi, pour orchestrer la lutte contre le téléchargement illégal. Malgré la fronde menée par certains eurodéputés, son action ne sera pas soumise à l'intervention préalable d'un juge, comme prévu dans le projet initial du gouvernement.
Le Sénat a néanmoins fixé plus précisément sa nature, sa composition et certaines de ses attributions. Elle ne pourra être saisie que par certains ayants droit (société de droits d'auteur, organisme professionnel, CNC), seuls habilités à repérer les pirates sur la Toile.
Deux avertissements, en toute discrétion
Si un cas de téléchargement illégal est rapporté à l'Hadopi, celle-ci enverra un e-mail d'avertissement au titulaire de la connexion Internet utilisée par le biais de son fournisseur d'accès. Précaution délicate ajoutée par les sénateurs : le message ne divulguera pas le contenu des éléments téléchargés, pour préserver la paix des foyers...
Si le contrevenant récidive dans les six mois suivants, il recevra un nouvel e-mail, assorti d'une lettre recommandée ou « tout autre moyen propre à établir la preuve de la date d'envoi (...) et celle de sa réception ».
Un accès coupé pendant un mois minimum
Si l'internaute poursuit ses agissements dans l'année qui suit, les choses se gâtent. En fonction de la gravité des faits, l'Hadopi a le choix de la sanction. Elle pourra imposer une coupure de l'accès à Internet du contrevenant, avec une durée minimale abaissée à un mois par les sénateurs (et non trois mois, comme prévu dans le projet initial) et pouvant aller jusqu'à un an. Pendant cette période, l'internaute continuera à payer son abonnement à Internet et sera fiché dans une liste noire, lui interdisant de s'abonner chez un autre opérateur. Avant d'en arriver là, l'Hadopi lui proposera une « transaction », pour alléger sa peine.
Les services de messagerie, de téléphone et TV préservés
Selon le texte, la suspension ne sera appliquée qu'à l'accès à Internet et non aux services de TV et de téléphonie des abonnés multi play. Les sénateurs ont par ailleurs introduit un nouvel article, évoquant la possibilité d'une sanction intermédiaire, où le service Internet ne serait pas coupé mais limité (à la messagerie par exemple) pour ne pas priver l'internaute de moyen de communication. Cette option sera confirmée « en fonction de l'état de l'art » des évolutions technologiques.
Un recours non-suspensif pour l'internaute
Si un internaute s'estime accusé à tort, il pourra exercer un recours auprès d'une autorité judiciaire. Malgré les nombreux amendements déposés sur le sujet, les sénateurs ont refusé toute idée de suspendre une procédure de sanction en cas de recours. En revanche, les voies de recours seront dûment inscrites dans les messages d'avertissement de l'Hadopi.
Un logiciel de sécurité pour se déresponsabiliser
Selon la loi actuelle, le titulaire d'un accès à Internet (entreprise ou particulier) est déjà censé veiller à la sécurisation de cet accès. En cas de téléchargement illégal effectué sur sa ligne par un tiers, sa responsabilité ne pourra pas être engagée s'il s'est équipé d'un des outils de sécurité qui seront listés par l'Hadopi. La Haute autorité a même été habilitée par le Sénat à labelliser ces logiciels.
Pas de filtrage généralisé dans la loi
Le sénateurs ont supprimé du texte la notion de filtrage généralisé des réseaux. Elle n'est évoquée qu'à travers les « expérimentations de reconnaissance des contenus et de filtrage » menées par les professionnels, que l'Hadopi sera censée évaluer.
La disparition des DRM sous six mois
Selon les accords Olivennes de fin 2007, les ayants droit s'étaient engagés à rendre leurs contenus interopérables un an au plus tard après l'entrée en vigueur de la loi antipiratage. Les sénateurs ont choisi de raccourcir ce délai à six mois. Ils imposent aussi à la filière cinématographique de trouver un accord sur le délai de sortie des films en VOD avant le 31 mars 2009. Certains souhaitaient déjà fixer ce délai dans le texte (une fourchette de 3 à 9 mois était suggérée), mais l'amendement a été retoqué.
Trouver plus facilement tous les contenus légaux
Autre mesure en faveur d'un meilleur accès aux contenus audiovisuels légaux : imposer au Centre national de la cinématographie la création d'un système pour améliorer le référencement des offres légales sur les moteurs de recherche pour le 30 juin 2009.
Ces dernières mesures sur les DRM, le référencement et la chronologie des médias ont vocation à renforcer le volet « développement de l'offre légale » que le Sénat estime atrophié par rapport au volet répressif de la loi. Des mesures qui n'ont au final rien de bien contraignant.